L’un des enfants, tout excité, commence à crier : " un mort ! un mort ! ". tous les enfants s’y mettent à leur tour. Sans penser à mal, et tout à leur fête, ils gesticulent, crient, s’interpellent : " un mort ! un mort ! " ; un homme, manifestement en colère, descend de l’une des voitures du cortège et se met à crier. Il veut faire taire les enfants. N’y parvenant pas, hors de lui, il se dirige vers l’institutrice. Insultes, crise de larmes. Les enfants se mettent eux aussi à pleurer. La fête est finie.
Par contre, à en juger par ce qu’il se passe dans de nombreuses écoles, il est admis que l’on fête Halloween. Cette fête, qui fait retour –avec fureur- dans la société française, n’est pas considérée pour le moment, comme une fête religieuse. A cela, deux raisons : elle se déroule dans l’espace quotidien, et elle se prête facilement à une fête commerciale. Est-elle, cependant moins religieuse que la Toussaint qu’elle tend à supplanter ?
En France, n’est considéré comme religieux que ce qui se rapporte aux religions historique ; Tout ce qui est catholique, protestant, juif, musulman, bouddhiste, est reconnu comme lié à une religion. Mais tout ce qui relève du religieux spontané n’est pas identifié comme tel. Pourtant, ces rites et croyances spontanés, enracinés dans l’expérience païenne, sont en vérité profondément religieux, mais ils ne sont pas perçu comme tels. Cette méconnaissance ou cette bévue peuvent s’expliquer. N’ayant plus de connaissances religieuses précises, n’ayant pas non plus de références historiques, les Français d’aujourd’hui, dans leur majorité, ne savent pas reconnaître comme religieux ces rites qu’ils prennent tout simplement pour du folklore.
Les sociologues ont longtemps considéré que notre pays était en voie de sécularisation. C’est très clair en ce qui concerne notre calendrier. Pendant des siècles, le temps de la société française a été rythmé par les fêtes liturgiques chrétiennes et par quelques fêtes civiles (14 juillet, 11 novembre, etc.). Puis les références chrétiennes ont commencé à s’effacer. On l’a vu lorsque le week-end a remplacé le dimanche ou lorsque les vacances de printemps ont supplanté les vacances de Pâques. On peut encore parlé de sécularisation lorsque la fête de la musique remplace les feux de la Saint-Jean ou lorsque le téléthon s’installe à l’entrée du solstice d’hiver .Avec la journée du patrimoine, au moment de l’équinoxe de septembre, nous retrouvons déjà une démarche plus " religieuse ", si l’on admet, avec Danièle Hervieu-Léger, que la religion a d’abord pour fonction de nous relier à l’histoire de ceux qui nous ont précédés. Avec Halloween, nous arrivons au moment ou le caractère religieux de certains de ces rites sociaux commence à réapparaître. Simplement, ce caractère religieux, parce qu’il est païen, et non plus historique, n’est pas séparé de la vie " ordinaire ". Il est en quelque sorte " invisible " car il n’est pas organisé par un groupe religieux identifiable. Il imprègne, de façon plus ou moins consciente, les comportements quotidiens. On peut alors parler de re-sacralisation du temps. Ce retour à des rites assez proches de ce qu’étaient les rites sacrés des peuples païens est actuellement orchestré par les entreprises commerciales. Mais il est clair que Halloween ne rencontrerait pas le succès qu’elle a si elle ne touchait pas à des ressors profonds de la vie humaine et ne répondait pas à des attentes diffuses dans la société. Halloween est une fête qui retrouve les gestes et les aspirations de nos ancêtres celtes, des païens d’avant le christianisme. Mais, contrairement à ce que semblait penser l’institutrice qui conduisait le défilé de ses élèves : c’est bel et bien une fête religieuse.
Et c’est ici que nous trouvons le second enseignement. Sous des apparences folkloriques, la fête d’Halloween établit un lien, elle relie (c’est en quoi elle est religieuse) la génération des vivants aux générations disparues. Elle exprime notre façon de comprendre la mort et la situation de nos défunts. Elle tente aussi d’exorciser nos craintes et nos fantasmes devant la mort. Mais, comme elle n’a pas encore conscience de son caractère religieux, elle s’assume mal comme telle. Elle est donc désarçonnée lorsqu’elle rencontre la réalité de la mort.
C’est là , me semble-t-il, que réside l’enjeu fondamental autour d’Halloween : cette fête, avec ses rites et ses coutumes qui miment la mort , nous prépare-t-elle à affronter la réalité mystérieuse mais incontournable de la mort " réelle " ? La société française fait tout pour refouler la mort à sa périphérie. Elle en confie la gestion à des professionnels et tend ainsi à l’occulter, à la refouler. Halloween peut alors s’analyser comme une sorte de retour du refoulé . Mais lorsque le refoulé refait surface et rencontre le réel, il y a collision et confusion.
A cela, je réponds : " Pour la croisade, l’évêque de Clermont a déjà donné ! " Il ne s’agit donc pas de partir en croisade. Il est probable que le succès de cette fête va se confirmer dans les années à venir. Et on ne s’oppose pas à un ras-de-marée. C’est pourquoi, il me semble qu’il faut en priorité éviter de mettre les enfants en porte-à –faux avec leur maître d’école. Si les professeurs des écoles organisent la fête d’Halloween, ce ne sont pas les enfants qui peuvent, à eux seuls, s’y opposer.
Mais alors, il convient d’expliquer les significations et les enjeux de cette fête. Je suis persuadé que des enfants, même très jeunes, peuvent les comprendre, si l’on prend le temps de leur expliquer d’où viennent les rites d’Halloween, et comment ils sont revenus chez nous à partir de l’Amérique, après être partis de l’Irlande et des traditions celtiques. Les enfants pourront se situer sans angoisse vis-à-vis des autres élèves. Il pourront comprendre comment nos ancêtres les Celtes essayaient d’exorciser leurs craintes devant la mort, au moment où la nature s’enfonce dans les brumes et la nuit de l’hiver.
Mais il convient de leur expliquer, en même temps, comment l’Eglise nous a libéré de ces peurs et de ces fantasmes ; Depuis des siècles, elle insiste, au jour de la Toussaint, sur l’espérance de la résurrection et sur la joie de ceux qui ont mis les Béatitudes au centre de leur vie. Il est juste de dire que ces efforts de l’Eglise ont rencontré de fortes résistances. Pour beaucoup de gens , la Toussaint fait davantage penser au jour des morts qu’à la joie de la Jérusalem céleste. (1)
Il ne faut pas avoir peur d’affronter ces questions . Halloween et la Toussaint sont aux antipodes l’une de l’autre. Les signes y sont inversés. Pour l’une, la mort est une fatalité, on peut seulement la tourner en dérision Mais à la fin, ce sont les squelettes qui ont le dernier mot : ils viennent chez les vivants pour leur annoncer leur destin et les tirer vers le royaume des ténèbres. Quoi que nous fassions, nous faisons cycliquement retour aux profondeurs de la terre. Pour l’autre, la mort est une réalité qu’il faut savoir assumer. Mais elle est un passage. A la suite du Christ ressuscité, nous sommes en route vers la Cité sainte où nous attend la foule immense de ceux que le Seigneur a sanctifiés.
Parce que nous sommes nous-même nés dans le paganisme, nous n’avons pas à nous étonner de rencontrer les cortèges d’Halloween. Sachons seulement discerner ce qu’ils signifient. Apprenons à nous situer devant ces craintes et ces fantasmes. Sachons en parler, et c’est en ce sens que nous avons à devenir bilingues .Le Christ nous a libéré, mais les paroles de mort peuvent encore rencontrer un écho dans nos vies. Car l’espérance de la résurrection ne nous délivre pas magiquement de l’épreuve de la souffrance ni des affres de la mort. Laissons nous simplement apprivoiser par l’Evangile. Ses paroles sont puissance de vie pour nous.
Monseigneur Hippolyte SIMON
Evêque de Clermont-Ferrand
(1) On les fête officiellement le lendemain, le 2 novembre, mais cette proximité a souvent donné une tonalité funèbre à la fête chrétienne de " tous les saints "
Source: oecuménisme- information " du mois de novembre 2000.
Le livre que Mgr Simon a écrit et auquel il fait allusion dans cet article s'intitule : "Vers une France paienne" et est édité chez "Cana".